2. Thought I had so much to say

WHEN YOU SOAR LIKE AN EAGLE, YOU ALWAYS ATTRACT A HUNTER.

« Delena, ramène-toi ! Allez, Dellie, vite ! » La demoiselle accourut, avec peine, malgré ses jambes tremblotantes, le souffle coupé, vers son frère, Milo, qui la dévisageait, les mains posées sur les hanches. Il n'avait jamais été très complice avec elle, jamais il n'avait endossé le rôle du grand frère protecteur et attentionné, il ne l'avait peut-être même jamais regardée d'un œil attendrissant, n'avait jamais prononcé un seul mot d'encouragement, jamais laissé paraitre un sourire compatissant. Rien. Que du vide. Un vide d'amour. Elle leva les yeux, arrivée à sa hauteur, et tendit la copie à son ainé, sans émettre un seul son. Elle se contentait de suivre les instructions, ou plutôt de faire les corvées qui ne lui étaient pas destinées, de faire les devoirs de Milo et même de le couvrir et de s'accuser à sa place quand celui-ci faisait des conneries. Et elle ne savait pas dire non, elle ne voulait pas décevoir son grand frère. Il la menaçait toujours de la livrer à une bande de jeunes peu fréquentables si elle n'obéissait pas. C'était terrorisant. La première fois, elle n'y avait évidemment pas cru et prenait ces mots pour des menaces banales et sans conséquences. Mais après avoir subi, du haut de ses treize ans, une première fois la peur d'être face à des brutes sans cervelle, elle se résigna à obéir. A chaque fois. Un seul mot aux parents et c'étaient les mêmes conséquences. « Bien, tu peux partir maintenant. Allez ouste, en dehors de ma vue ! » Et il lui claqua la porte de sa chambre au nez. C'était le même rituel presque tous les soirs depuis deux ans. Et apparemment, cela n'était pas prêt de finir.

Delena aimait beaucoup sa mère qui la chérissait et l'adorait tout autant. Elles étaient très proches, très complices, mais la jeune fille avait toujours réussi à cacher à sa mère les menaces de son grand frère. Elle ne mentait pas réellement, elle lui cachait seulement la vérité. La relation que Dellie entretenait avec son père était du tout au tout différente. Cette relation était conflictuelle depuis toujours, ils étaient tous les deux un peu trop têtus pour trouver un quelconque terrain d'entente, et ce dans toutes les situations possibles et inimaginables. Ils pouvaient tout autant se disputer à propos d'une broutille qu'un réel malentendu pouvant provoquer des débats. Et puis, Milo avait une relation si forte, si indestructible avec son père, qu'il était impossible pour Delena de s'immiscer entre eux.

Dellie se faufila dans le couloir, telle une ombre, sans un bruit. Milo venait de rentrer, et comme chaque soir, elle avait entendu sa porte claquer. Elle ne frappa pas, elle se contenta d'entrer dans la chambre de son frère, tête haute, sans trembler, chose qu'elle n'avait jamais osé faire depuis ses onze ans. Celui-ci, étonné de cette attitude, se leva d'un air assuré, le sourire aux lèvres. « Que me vaut l'honneur de cette visite, petite sœur ? » Il s'arrêta net. « Mais.. enfin, Dellie, qu'est-ce que tu fais ? Non... tu ne peux pas. Cette arme est fausse n'est-ce pas ? Ce n'est pas possible, tu n'aurais pu te la procurer.. » Elle secoua la tête rapidement. « Détrompe-toi, et c'est tout à fait légalement que cette arme est arrivée en ma possession. Étonnant, non ? Tu sais, à force de trainer dans les mauvais quartiers, on commence à comprendre qu'il faut savoir se défendre, sans pour autant attaquer. Une façon comme une autre de faire peser une menace. » Ses mains commençaient à trembler légèrement. Elle jubilait en voyant la peur sur le visage de Milo, c'était une satisfaction dont elle avait toujours rêvé. « Delena, pose cette arme. Doucement. » La demoiselle se retourna, une larme perla sur sa joue rosée. Son père était là, il avait tout vu, tout entendu. Il était planté devant elle, le regard impénétrable, sans montrer aucune émotion, ni de tristesse, ni de colère. C'était peut-être pire. Il prit de le menton de Dellie entre sa main : « Écoute, Delena. Tu vas partir, ne plus jamais revenir, c'est compris ? Vois-tu le trouble que tu sèmes dans la famille ? Maman n'en saura jamais rien. Il faut que tu partes avant qu'elle ne te voie, c'est fini. J'ai vu de quoi tu étais capable... » Elle pleurait maintenant à flots. Elle desserra sa main droite et l'arme tomba au sol dans un bruit sourd. Elle n'était même pas chargée. Du haut de ses dix-neuf ans, elle quitta la maison familiale, à jamais. Quelques jours plus tard, elle déposa ses valises à Mount Pleasant, perdue mais soulagée de commencer une nouvelle vie en effaçant toutes les traces de son passé. Adieu Aberdeen.