Deux grosses armoires à glace avec une arme à feu à leur ceinture qui plus est se postèrent simultanément devant l'entrée du commissariat que Noam tentait de franchir. Hagard, il stoppa net sa marche avant de faire la rencontre avec les biceps un peu trop développées de ces messieurs. Quand bien même il était convoqué en ce jour même, il ne tenait par à contrarier ses officiers qui auraient aussi vite fait de le mettre au trou qu'il n'ait eu le temps de dire son nom complet. Déglutissant difficilement, tous trois se toisèrent pendant un instant dans un silence de mort. Le médecin n'avait jamais apprécié les forces de police. Il les trouvait trop guindées, à une forte tendance à l'abus de pouvoir. Terry lui-même était l'exception qui confirmait la règle : un peu trop tête brûlée, trop sympathique, trop amical. Il se doutait que ce n'était qu'une apparence destinée à faire bonne figure auprès de ses voisins mais il osait penser que Terry était un 'good cop' comme on clamait dans les films. Après un moment étouffant de testostérone, Noam gonfla légèrement le torse dans l'espoir d’apparaître tout à fait normal. Si seulement ils connaissaient ses petits secrets... « J'ai été sommé par l'officier Hampton. » A peine eut-il prononcé le nom de l'agent que les deux collègues se regardèrent tout en s'échangeant un sourire mesquin de connivence. « Tiens donc ça a le droit d'interroger des témoins maintenant ? Ca n'est plus ce que c'était la police. » Son acolyte répondit par l'affirmative et tapa l'épaule de l'autre amicalement pour laisser passer Noam. « Allez laissons-le perdre son temps. On te convoquera certainement de nouveau pour un véritable rendez-vous cette fois ! » Et alors que Noam foulait enfin l'accueil du commissariat, les deux gorilles derrière lui ricanaient à l'unisson.

L'ambiance ici était-elle toujours aussi détendue et humant la moquerie entre collègues ? Noam ne parvenait à comprendre ce genre de comportement : ne représentaient-ils pas l'ordre et la justice ? Il avait du mal à croire que ces deux hommes avaient passé les examens de la police avec succès bien que ceux-ci aient la réputation d'être ultra-sélectif. S'approchant du comptoir d'accueil, il déclina alors son identité avant d'expliquer la raison de sa venue. Le secrétaire lui désigna des bancs accolés avant de lui indiquer qu'il serait appelé le moment venu. C'est en silence que Noam prit place sur un siège rudimentaire avant de scruter chaque détail de la pièce. Il n'était pas venu souvent ici : il y a quelques années il avait du y faire un tour car sa green card arrivait bientôt à expiration et un policier mal luné avait décidé de trouver louche qu'elle n'expire que quelques semaines plus tard. Il l'avait obligé à le suivre jusqu'ici afin de subir un interrogatoire en bon et du forme avant que l'ambassade d'Australie ne vienne le disculper de tout délit. Maintenant qu'il avait définitivement sa nationalité américaine – du moins il faisait tout pour, il s'était fait un plaisir d'oublier ce commissariat qui n'avait pas vraiment le même luxe que les autres établissements officiels de Mount Pleasant. Depuis qu'un criminel rôdait dans la ville, ils devaient être débordés et pourtant, il distinguait qu'ils avaient le temps de s'enfiler des donuts au vu des trois cartons qui trônaient sur le comptoir et de se faire les ongles comme une hôtesse un peu plus loin. Depuis l'attaque du Brittanion Hôtel, l'influence de Belinda Vinson les avait quelque peu remués. Elle n'acceptait pas un tel échec et avait exigé qu'on retrouve rapidement l'auteur des faits d'autant plus qu'un nouveau meurtre s'était ajouté à la liste. A l'évocation de cet événement, les souvenirs remontaient à la surface. Depuis quelques jour, il avait tout fait pour tenter de restituer chaque moment de cette soirée d'horreur. Il savait les policiers coriaces, ils n'hésiteraient pas à poser des questions même les plus indiscrètes ou les plus insignifiantes pour peu qu'un indice ne se révèle. Il n'avait rien à se reprocher du moins pour cette affaire-là et c'était donc dans la peau d'un innocent témoin qu'il se mettait. Peu après, son nom retentit dans la salle. Il se redressa puis marcha vers la pièce qu'on lui avait désigné, l'informant que l'officier le rejoindrait sous peu. Salle d'interrogatoire 384. Il poussa la porte et l'austérité de la pièce qui ne comportait qu'une table, deux chaises, une vitre sans teint et des murs gris acheva de l'angoisser légèrement. Ils mettaient tous les moyens possibles pour effrayer leurs visiteurs c'était certain. Prenant place sur une des deux chaises, il passa machinalement une main dans ses cheveux pour paraître le plus présentable. L'observait-on derrière cette vitre ? Parlait-on sur lui ? Avait-on trouvé quelque chose qui l'aurait trahi ? Noam était de plus en plus nerveux et l'agent se faisait attendre. Tandis que sa jambe s'était mis à s'agiter sous la table, le médecin se concentra sur l'affaire pour laquelle on l'avait sommé. Rien de plus qu'un petit moment passé avec un de ces hommes bedonnants ou de ces gorilles impertinents. Quand la porte s'ouvrit enfin, il crut trouver soulagement. Mais quand il levait les yeux vers la silhouette qui s'approchait de lui, un dossier à la main et à l'uniforme parfaitement repassé, la surprise manqua de le faire renverser de sa chaise. Une femme.

Depuis quelque temps le commissaire et l'équipe de police de la ville était sur les nerfs. Nous étions sur une très grosse affaire celle du Brittanion Hôtel. Il y avait eu une attaque et nous devions élucider cette affaire. D'ailleurs, étant donné que nous étions en sous-effectifs tous le monde devait mettre la main à la pâte. C'est ainsi que je me suis retrouvé à enquêter sur cette affaire. Moi, un petit gardien de la paix, je jouais dans la cours des grands. J'étais enchantée par cette nouvelle mission qui me passionnais beaucoup. Cela me donnais envie de passer le concours de commissaire, mais pour cela je devais attendre d'avoir un peu plus d'expérience. Ce matin-là j'étais arrivée de bonne heure. Je voulais relire quelques dépositions et revoir certains éléments de l'enquête. J'avais un poste de "soutient" dans cette affaire, ou plutôt d'observateur, mais je tenais à être très au point en cas de problème. J'arrivais donc au commissariat dans la même ambiance que d'habitude, mais avec un peu de tension en plus. L'ambiance n'était pas en ma faveur. J'étais l'une des seules femmes du commissariat et j'en prenais régulièrement pour mon grade. Les hommes de ce commissariat semblait penser que je n'avais ni les capacités mentales, ni les capacités physiques pour être leurs égales. Ils me répugnaient tous. Ils faisaient des blagues salaces, des réflexions à longueur de journées et roulaient des mécaniques. De plus, ils étaient tous à peu près gras étant donné la tonne de donuts qu'ils engloutissaient par semaine. Croyez-le ou non, mais ce n'est pas un stéréotype. Ils sont réellement ainsi. Je traversais le hall, puis les bureaux, la tête haute. Je ne veux montrer, aucun signe de faiblesse à mes collègues. J'ai été élevé avec quatre frères, autant vous dire que j'ai du caractère et surtout un certain aplomb qui me permet de ne pas me laisser démonter et de tenir tête aux gros durs. Au commissariat, on m'appelait la "petite princesse". Ce n'était pas un surnom affectueux, plutôt une manière de me rabaisser un peu plus. A leurs yeux j'étais, une petite poupée, qui serait mieux devant les fourneaux que dans leurs jambes. J'entrais dans mon bureau ou je trouvais une note du commissaire, il me demandait d'aller dans son bureau dès mon arrivée. Je déposais mon sac et mon manteau et allais dans les vestiaire, enfiler mon uniforme, dix minutes plus tard j'étais dans son bureau au garde à vous. Façon de parler. Il m'invita à m'asseoir face à lui. Après une conversation d'une trentaine de minute, je sortais de son bureau souriante et anxieuse à la fois. Je croisais un de mes collègues. Tu as l'air heureuse jolie coeur. J'esquissai un sourire à l'un des rares collègues avec lequel je m'entendais bien et que je pouvais supporter. J'entrai dans mon bureau et m'installais face à mon ordinateur. Je tapais nerveusement, du bout des doigts, le bois de mon bureau. Le commissaire, me confiait la mission d'interroger un des témoins de l'affaire. Je me replongeais dans le dossier. Noam I. Wilder-Smith, un médecin qui est intervenu pendant l'attaque. Au bout de quelques minutes je recevais un appel. Il était là, mon premier témoin. Je respirais profondément et me concentrais pour ne pas me laisser déstabiliser. Il n'y avait pas de raison que ça se passe mal. J'étais un bon élément, je travaillais bien et surtout je connaissais cette affaire sur le bout des doigts, bien plus que le commissariat réuni. J'entrais dans la salle d'interrogatoire, une salle lugubre que j'avais apprivoisé avec le temps et que j'avais appris à "aimer". Bien que cela soit quand même très difficile. L'homme leva un regard vers moi et paru surpris de voir une femme. Je levais les yeux au ciel. Désespérée par le monde de macho dans lequel je vivais. Je m'installais face à lui. Bonjour, je suis Livia Hampton. Je le fixais dans les yeux, impossible pour moi de baisser le regard après cet affront qu'il m'avais fait. Dans un sourire professionnel je continuais. Vous voulez un verre d'eau ou un café ? Il est de coutume de mettre à l'aise les témoins. Après tout il n'avait rien fait, il avait même été le médecin qui avait pris en charge les victimes. Nous allons commencer. Nom, prénom, âge, profession, adresse. Tout y passais, même si j'avais déjà les informations c'était le protocole. Bon nous allons continuer. Pour quelles raisons étiez-vous au Brittanion Hôtel ?

Noam n'était pourtant pas de ces hommes qui pensaient que le rôle de la femme n'était que préparer le repas et faire les lessives. Lui-même, père célibataire, ne devait-il pas accomplir ces tâches par lui-même ? Certes pendant longtemps il avait estimé que puisque cette besogne n'était pas destinée à toutes les mains maladroites, autant fallait-il la laisser à des mains expertes. Il avait aimé comme tous les adolescents se faire servir et mettre les pieds sous la table dès qu'il rentrait de ces cours. De plus, Juliann était une femme qui avait été éduqué selon des règles strictes et parfois vieux-jeu. Elle avait exigé qu'il lui tienne la porte, qu'il lui offre des fleurs, qu'il fasse de sa propre initiative le premier pas pour officialiser leur relation. Elle lui avait donné du fil à retordre, non pas qu'elle fut difficile à avoir – la séduire n'avait été qu'une étape facile à franchir mais elle avait eu à son égard des requêtes et des sollicitations qu'il avait cru enterrées depuis des siècles. Oui, il avait du s'entretenir à son père pour obtenir sa bénédiction. Mais tout ces détails plutôt embarrassants ne faisaient pas pour autant du médecin quelqu'un qui catégorisaient les corps de métier selon un sexe. Disons qu'il avait été abasourdi de la réaction des collègues à son entrée au commissariat. Il s'était attendu à voir un policier bedonnant, assez vieux et peu compétent d'où les quolibets des deux officiers mais il fallait croire que la discrimination sévissait encore jusque dans les repères de justice. Maintenant qu'il y repensait, ça n'était pas un secrétaire ou quoi qu'il avait eu au téléphone quelques jours auparavant pour sa convocation, ça n'était personne d'autre que l'officier Hampton qui l'avait d'elle-même appelé. Il se sentait plutôt stupide à présent et cette surprise avait eu au moins la bonne conséquence que de détendre Noam sur cet interrogatoire. Hampton semblait jeune et elle n'avait pas les années d'expériences requises pour qu'on puisse la pousser à fouiner sur le passé de Noam. Il n'était qu'un américain comme les autres maintenant et il fallait qu'il s'y fasse lui-même en premier, pour mieux le faire comprendre aux autres non ?

Sans sourciller, elle s'assit en face de lui avant de se présenter. Ainsi c'était Livia. Néanmoins, mieux valait retenir son nom de famille, Noam ne souhaitait pas froisser par un peu trop de proximité. Elle soutenait son regard avec véhémence comme si elle voulait rappeler que c'était elle qui dominait ici. Elle se tenait droite, ses cheveux relevés en une queue de cheval parfaite. Malgré sa jeunesse, elle avait de la prestance : intimider pour mieux piéger. Chassant ces idées effrayantes de son imaginaire, il fit non de la tête avant de répondre poliment : « Non merci. » Le café c'était tout aussi mauvais pour la santé que tout bonnement imbuvable. En plus, ça jaunissait les dents. En bon médecin, il pouvait réciter par cœur tous les inconvénients qui composaient cette boisson pourtant prisée des américains pressés. Le stress de Noam se trahissait sitôt qu'il se mettait à se rappeler de toute et n'importe quoi : la notice d'hier qu'il avait lu derrière la boite de son thé, la conférence ancienne de plusieurs années à propos des méfaits de cette fameuse caféine, ce que cette Livia lui avait dit au téléphone au mot près... Son cerveau commençait à s'emmêler dans un vrai bordel. Cependant l'officier reprit les choses en mains et s'acquitta des formalités habituelles. Il lui déclina son identité entière, ses coordonnées, des informations utiles pour garder sa trace. Quand enfin, la jeune femme rentra dans le vif du sujet et l'interrogea sur les raisons de sa présence au Brittanion Hôtel. Ça c'était gérable. Haussant les épaules, il croisa ses mains qu'il posa sur la table. Son genou droit s'agitait toujours sous la table mais il n'y prêtait pas attention. « Mrs Belinda Vinson, hôte appréciée de Mount Pleasant que vous devez connaître, avait une nouvelle fois renouvelé son gala de charité qu'elle tient tous les ans. J'ai été convié comme beaucoup d'autres habitants du quartier. Je me devais d'honorer son invitation. » Depuis les événements, il ne s'était pas inquiété de l'état de cette femme qui depuis devait se retrouver dans un état proche de l'hystérie. Elle avait toujours tout contrôlé dans sa vie et voilà qu'un inconnu criminel avait décidé de semer l'horreur dans son petit quotidien irréprochable. Livia Hampton allait avoir du pain sur la planche si toutefois elle s'était portée volontaire pour cette affaire. C'était une grande enquête qui allait se profiler devant elle mais une issue victorieuse aurait raison de la réputation qu'elle se traînait dans les couloirs. Ça devait être un véritable défi qu'elle s'était donnée là et Noam allait faire tout ce qui était possible pour lui faciliter la tâche. « Je suppose que je dois vous raconter ce qu'il s'est passé de mon entrée jusqu'à l'arrivée de vos collègues ? » Sans s'en rendre compte, il lui mâchait le travail et il n'avait pas conscience que son ego de policière pouvait en être touché. Qu'avait-elle à le dévisager de la sorte ? Pouvait-elle déceler en lui des secrets qu'il enterrait jusqu'alors ?