C’est au détour de l’intersection d’une rue qu’il tomba nez à nez sur Jason. Non il ne rêvait pas, il s’agissait bien du même type qu’il avait tant détesté il fut une époque. Il avait les mêmes traits – à quelques rides près évidemment –, la même expression du visage et un look quelque peu similaire à celui d’autrefois mais n’ayant jamais vraiment fait gaffe à l’apparence vestimentaire du jeune homme à l’époque, il ne pouvait pas être catégorique sur ce point. Etrangement, il n’eu pas envie de lui casser la gueule. Il fut un temps où il ne se serait pas gêné pour le faire. A croire qu’il en était resté au stade du verbale sans jamais entrer dans la violence physique, c’est dingue en y repensant. Comme quoi, il n’était pas une brute épaisse, juste un gentil garçon un peu bagarreur. Oui bon d’accord, arrêtons de rêver ! Le terme gentil garçon ne convenait pas à sa personnalité de l’époque et ne convient toujours pas car à bien y repenser, il n’a pas tellement changer. A présent il s’habille mieux, à un super job qui lui fournit voiture plus maison de fonction, le tout ajouté à un super salaire – en même temps c’est la moindre des choses vu le lieu où son patron l’a envoyé – ; mais hormis le côté flambeur de sa vie d’adulte, il est toujours aussi instable sentimentalement parlant et toujours aussi détraqué psychiquement. Il faut dire que les évènements qui se sont produits dans sa vie n’ont pas été marquants au point de le faire grandir. Finir ses études, décrocher son diplôme, accepter un poste, gravir les échelons, s’installer avec une fille, rompre puis être obligé de quitter Los Angeles pour venir vivre à Mount Pleasant : en somme, rien d’exceptionnel. Parfois il se dit que sa vie n’est pas très mouvementée et il regrette qu’il ne s’y passe rien de follement excitant. D’ailleurs depuis son arrivée dans cette ville, ce n’est pas l’excitation folle mais plutôt l’ennui certain. Il n’a jamais vécu dans une petite ville et autant dire que l’ambiance qui y règne est à cent lieux de ce qu’il a connu et de ce à quoi il a été habitué. Croiser Jason par hasard constitue en soi l’évènement majeur de sa journée vu le calme intégrale qui y régnait jusque là. Sans trop savoir pourquoi, il lança un : « Salut mec ça va ? » tout en lui serrant la main. Il ne se reconnaissait plus lui-même. Pourquoi prenait-il des nouvelles de son ancien ennemi juré ? Sans doute parce que de l’eau avait coulé sous les ponts depuis. Ils étaient adultes à présent, n’oublions pas ce détail ! Le temps du triangle amoureux était bien loin et en y repensant, c’était bien puéril de se battre pour une fille. Si c’était à refaire, il s’abstiendrait. Tout était tellement codifié à l’époque de l’université : ne pas parlé à Jason parce qu’il fait partie de la fraternité adverse, non mais quelle connerie ! D’autant que ce n’est pas une fratrie qui fait une personnalité, c’est plutôt cette fratrie qui sépare en imposant des codes et des barrières.

Il s’agissait là du moment rêver pour repartir sur des bonnes bases. Cayden n’était pas certain d’en avoir envie mais quitte à habiter dans la ville de l’ennui, autant avoir quelques alliés pour passer le temps et créer du rebondissement. « Ca fait longtemps ! Qu’est-ce qui t’amène à Mount Pleasant ? » Et vas-y que je fais la conversation comme si t’étais mon meilleur pote. Le pire, c’est que ça lui venait spontanément. Le fait de retomber comme ça sur une vieille connaissance déclenchait la conversation comme s’il avait quitté la personne la veille. A la limite ça n’aurait rien eu d’étonnant si ça n’avait pas été Jason, s’ils n’avaient pas été séparés par une fille. A croire que c’est le fait d’être amoureux de la même fille qui les a fait entrer en compétition. Dans son esprit, Jason est indissociable de Sarah et par conséquent de tous les souvenirs qui y sont rattachés. Il ne put alors s’empêcher de penser à elle à cet instant. Ca faisait des lustres qu’il ne l’avait pas revu, il ne savait d’ailleurs pas ce qu’elle était devenue. Jason savait-il lui ? Avait-il eu de ses nouvelles ? Et s’il en avait, ça signifiait forcément qu’ils étaient restés en contact. Oh puis zut, on s’en tape après tout ! Tout ça est tellement loin, à quoi bon repenser au passé, ça ne sert qu’à se faire du mal. Remuer le passé n’est jamais bon ni pour le cœur, ni pour l’esprit. Repenser à Sarah dans un moment pareil était totalement inutile et puis, le fait qu’elle soit sortie de sa vie rendait possible un nouveau départ vis-à-vis de Jason. Ils deviendront peut-être amis. Ca peut sembler quelque peu utopique mais ça reste possible. Il est même prêt à y mettre de la bonne volonté ! Si, si, j’vous jure ! Et puis n’oublions pas que des deux, Jason a toujours été le plus mature alors si Cay’ arrive à faire un effort, Jason en fera sûrement un aussi …

Un esprit maléfique devait avoir pris possession de son corps ou un truc du genre parce que là, c’était le monde à l’envers. Depuis quand se souciait-il de savoir ce qui était arrivé à Jason ? Et s’en souciait-il vraiment ? A dire vrai pas vraiment. Il prenait plus des nouvelles pour juste prendre des nouvelles que par réel intérêt. Il faut dire que depuis qu’ils avaient quitté l’université, il n’avait jamais pris la peine de penser à lui ou de s’interroger sur ce qu’il devenait. Déjà qu’à l’époque il s’en fichait, ce n’était pas pour s’y intéresser maintenant or étrangement, il lui parlait naturellement comme s’ils étaient de vieux amis de longue date. Le plus bizarre dans tout ça, c’est qu’il prenait sincèrement de ses nouvelles sans s’énerver, sans une once d’agressivité. Dire que ça ne lui faisait pas tout drôle de parler avec Jason, son grand rival de toujours, aurait été mentir mais ça ne lui faisait pas aussi bizarre qu’il l’aurait cru et puis, étant donné leur rencontre fortuite, ça aurait été un peu cramé s’il avait fait style de ne pas le voir et puis, s’arrêter est un signe de maturité. Il n’a jamais été très mature mais à présent il s’améliore. La preuve : il n’a pas encore tapé sur Jason pourtant, il a toujours la même tête à vous donner envie de la baffer. Non, non, non ! N’incriminons pas sa tête. Ca n’a rien à voir avec son physique, c’est uniquement une histoire de fille ou plutôt, c’était une histoire de fille alors inutile de repenser à tout ça car il y a prescription à présent.

La première réponse que Jason lui fournit fut quelque peu évasive. Normal, il pouvait concevoir de ne pas être la personne envers laquelle il ressentait le besoin de raconter sa vie. Malgré tout, il n’était pas contre faire un petit bout de conversation et si son interlocuteur continuait de lui fournir des réponses monosyllabiques, ça risquait de ne pas faciliter les choses. « Mutation. », lui fournit-il comme réponse lorsque le jeune homme lui retourna la question. Oui bon ok, lui non plus n’était pas très causant dans ses réponses mais en même temps ils ne s’étaient jamais vraiment parler à part pour s’envoyer des vacheries à la figure donc normal que les mots aient du mal à sortir. Au jeu des vacheries par contre ils étaient champions, là généralement, il n’y avait pas de blancs contrairement à maintenant. N’ayant pas très envie qu’un silence embarrassant s’installe, il le rompit d’emblée. « C’est vrai qu’ici l’ambiance est différente. » Phrase de merde avec aucune ouverture pour rebondir sur autre chose. Super ! Finalement, s’arrêter pour parler à Jason n’était peut-être pas une si bonne idée après tout. Il aurait sans doute mieux fait de se contenter d’un simple signe de tête et de passer son chemin. « C’est d’ailleurs bien que tu es tenu trois ans dans cette ville. » dit-il histoire de meubler les blancs. Décidément, la conversation avait vraiment du mal à venir. Il devait y avoir une incompatibilité de caractère ou un truc du genre. « Et sinon, t’es marié avec des enfants ? », demanda-t-il à tout hasard. Il s’était toujours imaginé que Jason finirait casé avec un job stable, une femme et des enfants. Il ne pourrait pas dire pourquoi il avait eu à l’époque cette vision de lui et pourtant il l’a toujours eu. Sans doute parce qu’il savait que théoriquement Jason était le mec parfait, celui dont une fille pouvait rêver. Inutile de préciser que cette perfection le mettait en rogne et que d’une certaine manière il en était jaloux. Il n’a d’ailleurs jamais compris ce que les filles lui trouvaient. Bon ok, physiquement il était plutôt bien mais mentalement ? Y a pas plus lisse que Jason niveau caractère ! On s’ennuie à force avec monsieur parfait. Heureusement que Sarah n’était pas tombée dans le panneau à l’époque. Quoi qu’il en soit, il s’attendait à apprendre que Jason vivait ici parce que le cadre y était idéal pour élever des enfants ou un truc du genre.