Tout ne tournait plus rond. Noam était parti pour être irréprochable, il s'en retrouvait avec Althéa dans ses bras en train de danser comme tout le monde. Se serait-il enfin résigné à rentrer dans le moule de tous les américains ? C'est ce qu'on aurait pu croire mais jamais le médecin ne renierait ses propres convictions et sa propre personnalité – aussi étrange soit-elle parfois pour s'intégrer un peu plus. Les gens avaient fini par oublier son accent un peu prononcé qui disparaissait de plus en plus. Ils avaient fini par accepter que Noam était un mangeur de sucre et non pas un amateur de viande saignante ; qu'il préférait les énormes voitures bien grossières que les bijoux à finitions luxueuses. Et s'il n'aimait pas danser, il ne se sentait pas sous la contrainte à cet instant précis. Si on lui posait la question il répondait plus tard qu'il n'avait plus toute sa tête et qu'il voulait faire plaisir à sa stagiaire qui l'avait tanné pour qu'il lui accorde une danse. Elle l'avait eu. Elle l'avait eu dans tous les sens du terme même ceux auxquels Noam aurait du dire ''jamais''. Il la faisait même tournoyer maladroitement, ponctuant ce geste de paroles évocatrices. De réservé et aimable, il était passé à séducteur et imprévisible. Personne ne semblait remarquer ce changement soudain, peut-être n'était-il pas le seul à se défouler complètement. Le gala de charité battait son plein, les enchères étaient terminées et dès demain tout le monde connaîtrait le montant des recettes et quelle part irait à l'hôpital, laquelle reviendrait à la recherche. Le directeur ne faisait aucun secret à propos des finances de son établissement, il était transparent sur toutes les subventions et c'était agréable d'évoluer dans un environnement qui n'était pas qu'apparences mais garanties aussi.

Cependant changement ne venait pas sans conséquences. Comme il eut fallu s'attendre, Noam esquissa un pas de travers durant le slow et bouscula un vétérinaire. Celui-ci, peu rancunier voulut l'aider à se relever mais il parvint seulement à lui tendre une main tapissée d'allergènes de chiens ou de chats. Il n'avait certainement pas pensé qu'une poignée de main déclencherait une telle réaction allergique auprès de Noam. En moins de temps qu'il eut fallu pour le dire, il déguerpit de la salle tout en accumulant les éternuements bruyants. Les musiciens avaient totalement changé de registre pour un morceau plus rythmé et plus dansant comme pour couvrir les bruits du médecin qui étaient déjà bien loin. Une fois à l'extérieur, Althéa lui tendit un verre d'eau pour qu'il calme les brûlures qu'il sentait dans son œsophage. Son visage était rieur et si elle avait pu, elle aurait très bien pu se permettre une réflexion subtilement railleuse. D'autant plus que Noam enchaînait alors sa deuxième chute en moins de dix minutes. Heureusement qu'il n'était pas quelqu'un qui était susceptible sur ce genre de choses, qui ne supportait pas l'humiliation parce qu'alors la soirée serait un fiasco. Il s'en moquait et c'est à l'unisson qu'ils rirent. La jolie blonde voulut l'aider à se relever mais l'esprit embrumé de Noam ne trouva rien de mieux que la tirer à lui au contraire pour la renverser à son tour. Il veilla toutefois à ce qu'elle ne se fasse pas mal puis continua de rire bientôt mécaniquement. Il passait vraiment une bonne soirée mais il savait que le temps avançait lui aussi et que tôt ou tard ils devraient revenir à la réalité. Il essayait de calmer son souffle alors, se laissant tomber dans l'herbe humide derrière lui. Peu importe si elle tachait sa veste, c'était le cadet de ses soucis. Il ferma les yeux pour profiter de la brise salvatrice quand Althéa lui proposa de le ramener. Il tourna légèrement sa tête vers elle, le visage interrogateur : « Vraiment ? » Il se redressa sur ses coudes juste assez pour pouvoir lui parler sur un ton raisonnable. Ils étaient tous les deux dans les branches de la santé, parfaitement au courant des dégâts de gens alcoolisés sur la route. Et même si la perspective d'un bon lit douillet où il allait dormir malheureusement seule était plutôt alléchante, il craignait plutôt le danger de parvenir jusqu'au quartier en un seul morceau. « Tu te souviens de ce qu'on a bu ? Enfin de ce que j'ai bu surtout... » Il ignorait combien de verres il avait engloutis en quelques heures seulement mais le constat était le même : c'était sobre ou avec un niveau acceptable d'alcool dans le sang qu'il allait conduire. Et il n'allait certainement pas laisser Althéa à son propre sort. Elle était trop resplendissante dans sa robe noire pour ne pas se faire accoster dangereusement si toutefois elle comptait rentrer à pieds. Avec un sourire presque stupide, il poussa sur ses bras juste assez pour fourrer son nez dans la nuque d'Althéa dans ses cheveux blonds pour sentir quelques secondes son parfum. Il lui semblait que l'ascenseur était déjà loin derrière eux et il avait besoin de détails pour garder à jamais ce souvenir inoubliable dans sa mémoire. C'était la première fois depuis très longtemps que Noam ne se sentait pas habité par des démons qui l'épiaient sans cesse. Il se fatiguait tous les jours à agir comme le plus parfait des hommes et ce soir précis, il se sentait libre de toute menace.

[justify] J'avais longtemps hésité à me rendre à ce gala. Pesant le pour et le contre, je m'étais dit que finalement, cette soirée m'aiderait à me laisser aller et à penser à autre chose qu'au travail. Depuis que mon stage avait commencé, j'avais l'impression que les journées n'étaient pas assez longues et je m'enfermais littéralement dans mon travail sans prendre la peine de me détendre. Cet événement était donc tombé à pic. Jamais je n'aurais pensé qu'en fin de soirée mon désir le plus cher serait -non pas de retrouver mon lit douillet- mais plutôt de revivre ce qui n'était désormais plus qu'un souvenir. Noam et moi avions laissé parler nos corps sans se soucier du lendemain. Ce moment de pure sensualité était désormais gravé dans mon esprit pour un très long moment. Nous ne parlions plus d'un simple baiser, nous étions à présent passés dans la cour des grands.
L'alcool y était pour beaucoup ou tout du moins, il nous avait aidé à traverser cette barrière invisible entre nous. Pour preuve, Noam avait même cédé à une danse, lui qui avait pourtant été catégorique à ce sujet lorsque j'étais arrivée.

Après avoir partagés quelques pas ensemble, Noam fut obligé de déguerpir à toute vitesse pour ne pas être victime d'une énième crise d'allergie. Merci au vétérinaire qui lui avait pourtant gentiment tendu sa main afin de le relever. Prenant soin de prendre un verre d'eau, j'avais donc suivi mon voisin afin de m'assurer qu'il allait bien. Manifestement, ses rougeurs et ses éternuements s'atténuaient. Il avait simplement besoin de respirer un peu d'air frais pour se calmer. Je voulus saisir sa main afin de le relever une nouvelle fois seulement il m'attira vers lui. Ce soir je découvrais un Noam joueur et je me doutais bien que ces petits moments étaient éphémères. Dès demain, en étant sobre, les choses seraient sûrement différentes. La peur d'avoir éveillé certains soupçons, la crainte de ne pas savoir quoi dire à l'autre et l'angoisse de devoir ignorer cette tension électrique qu'il y avait entre nous.
Sentir l'herbe fraîche sous mes jambes m'apaisait. L'état de ma robe m'importait peu, j'avais seulement envie de profiter de ce dernier moment à ses côtés. Cette simplicité me plaisait beaucoup et sentir cette petite brise caresser ma peau me faisait le plus grand bien. Je n'aurais stoppé ce moment pour rien au monde et pourtant, je me rendais compte que les minutes défilaient rapidement, bien trop rapidement. Observant Noam fermer les yeux, je pris quelques brins d'herbe entre mes doigts avant de lui proposer de le ramener. Avais-je perdu tout sens logique ? Très certainement. Je me sentais parfaitement apte à conduire mais je ne voulais tout de même pas prendre ce risque, je connais que trop bien les dangers de la route.
Il s'accouda alors afin de mieux me regarder. Secrètement, j'avais envie de le pousser à terre pour me blottir à nouveau contre lui mais nous ne pouvions pas repartir de ce côté là. Cette fois-ci, nous connaissions très bien les réactions de l'autre et il serait difficile de résister à toute tentation. «  Oui c'est vrai... Au pire, on campera ici. » dis-je sur le ton de l'humour. Soudain, j'entendis mon portable vibrer à l'intérieur de ma pochette. Jetant un coup d'oeil au texto que l'on venait de m'envoyer, le fiancé de ma tante était sur la route afin de me ramener à bon port. Je lui répondis un simple « ok » sans trop m'attarder. La soirée touchait à sa fin à mon plus grand regret et me retrouver seule dans mon lit allait très certainement être le pire des châtiments après de tels événements. «  Problème réglé. Le fiancé d'Elizabeth arrive d'ici...Peu. » Mon dernier mot était à peine audible. En effet, j'avais sentis à nouveau le souffle chaud de Noam contre ma peau. Je me sentis tout de suite fiévreuse, frustrée de ne rien pouvoir faire. Instinctivement, je fermai les yeux afin de profiter de ce dernier moment, inclinant ma tête sur le côté dans l'espoir de me souvenir de cette sensation à jamais. Au loin, j'entendis le moteur d'une voiture. Regardant Noam, je réalisai petit à petit que tout ce que nous avions passé ensemble n'était autre qu'un souvenir. Je me relevai en même temps que mon voisin, l'aidant un peu à se remettre sur pieds de peur qu'il ne rechute à nouveau. Lâchant un dernier soupir, nous nous dirigeâmes vers la voiture lentement, comme pour retarder l'échéance certaine. Échec et mat.